C’est à cause de mes cauchemars que j’ai commencé à écrire
mon dernier roman, Metro Alep. C’était comme si je transposais la ville dans
laquelle je suis née vers la ville dans laquelle je vis actuellement. Je les
rassemblerais, avec affection, comme une mère qui aurait deux de ses filles
aimées, chacune vivant dans un pays lointain. Et qui rêverait de vivre avec
elles.
Mes
sentiments très maternels par rapport à la ville d’Alep m’ont poussé à y créer
un métro, sachant qu’il n’y a pas de métro là-bas. Ce même sentiment de
maternité, mais comme vécu à l’envers, en quelque sorte, m’a poussé à dédier
mon roman à ma mère. Ma mère est devenue soudain comme ma fille.
J’ai passé
dix ans séparée de mon pays. Réfugiée en France, je n’avais aucune possibilité
de rentrer en Syrie pour voir ma mère. Elle n’avait pas non plus pu venir me
voir en France, n’ayant pu obtenir de visa.
Dix ans
après donc, ma mère est venue me voir dans un pays voisin, la Turquie. Elle
était malade et la route d’Alep jusqu’aux frontières turques étaient très
dangereuse et très longue.
Elle a pris
deux jours pour arriver. En temps normal traverser la rue ne prend que quelques
heures, mais il y avait de nombreux barrages militaires: des barrages du régime
et d’autres barrages appartenant à des rebelles, y compris des barrages de
Daech.
Ma mère a
passé toutes ces barrières pour me voir, et ici, en Turquie, à Gaziantep, j’ai
réalisé que ma mère était devenue comme ma fille.
Elle ne cessait
de pleurer, elle avait peur de me laisser, elle avait besoin de ma protection.
Elle voulait que je reste avec elle.
Je fus
obligée de rentrer en France, après deux semaines d’une relation en même temps
douce et amère: nous étions heureuses d’être ensemble, mais nous savions qu’il
y avait la guerre autour de nous, et chacune de nous étions obligées de rentrer
chez nous sans pouvoir rejoindre l’autre.
J’ai donc vu
ma mère après dix ans d’absence, mais ni chez moi à Paris, ni chez elle à Alep.
J’ai commencé
à préparer mon livre, et je n’ai absolument pas réfléchi, en nommant la mère de
mon héroïne Amina, que c’était aussi le nom de ma mère.
J’étais par contre consciente que c’était le moment de dédier un de mes romans à ma mère. J’ai caché cette dédicace en filigrane en attendant que mon livre soit publié, pour ainsi la surprendre.
J’étais par contre consciente que c’était le moment de dédier un de mes romans à ma mère. J’ai caché cette dédicace en filigrane en attendant que mon livre soit publié, pour ainsi la surprendre.
J’étais en
train d’arriver aux derniers chapitres de mon roman, quand la mère de
Sarah ; l’héroïne, est morte sous les bombardements.
Pendant que
je travaillais sur mon livre, notre maison à Alep fut bombardée. Ma mère était
dedans, dans la salle de bain. Les murs tombèrent et elle resta coincée. Elle
regardait les gens autour d’elle, vers la salle de bain, la cuisine, le
salon…Tous avaient pu être sauvés.
Elle fut dans l’impossibilité de bouger. Les voisins l’évacuèrent en la sortant des décombres.
Elle fut dans l’impossibilité de bouger. Les voisins l’évacuèrent en la sortant des décombres.
La maison
n’était plus habitable. Ma mère passa quelques nuits chez les voisins en
attentant d’avoir un passeport pour partir en Turquie, car les frontières
étaient fermées. Quand elle était venue la première fois, les frontières
étaient ouvertes.
Je ne peux
pas et je ne veux pas parler de mon choc devant les photos que j’ai vues de ma
maison natale ainsi détruite, celle où je suis née et celle où j’ai grandi.
Je me suis
sentie comme déracinée. Comme si je n’avais plus d’existence propre. Mais je
n’ai pas eu le temps de prendre conscience de cette perte, alors que ma mère
était vraiment dans l’incapacité de supporter cette destruction de toute une
vie ; son abri, son passé, ses mémoires, ses affaires, ses meubles… ma
mère, comme sa propre maison, s’est éteinte.
Six
mois plus tard, Metro Alep est apparu, avec sa dédicace : ma mère ne
saura jamais ce que j’ai pu faire pour la rendre heureuse et fière de moi.
Cela fait un
an que mon lien avec ma vie en Alep est coupé et je me sens toujours comme si
je n’existais plus. La tristesse et un sentiment d’injustice me bloquent pour
sortir de cette obscurité.
Il y a
quelques jours, j’ai reçu des photos de mon quartier à Alep, des maisons des voisins.
Les maisons a côté de la nôtre sont toutes pareilles, elles sont à l’image de
notre bâtisse.
Notre maison
fut la première à tomber dans le quartier, mais au fur et à mesure il n’en
resta presque aucune, elles sont toutes devenues des décombres…
Il y a
quelques jours, l’est d’Alep a été presque rasé, ainsi que le quartier dans
lequel vit la mère de Sarah dans mon roman, le quartier d’El Jaloom. J’ai
ressenti une autre perte, comme si mon roman aussi n’existait plus. J’ai perdu
Alep deux fois, en perdant ma maison réelle et puis en perdant l’endroit où se
passe mon roman.
La maison
d’Alep, celui où la mère de Sarah passait ses jours, a elle aussi réellement
disparu.
Ma maison
est détruite, les maisons des voisins dans mon quartier sont tombées, le quartier
dans lequel mon roman se passe est tombé, Alep est tombée… tout, pour moi, est
détruit.
Extraits du roman:
Où allons-nous,-nous les Syriens? Nulle part au monde n’est suffisamment vaste pour nous. Et si on le trouve, on porte notre pays avec nous, et nous comparons les moindres détails de la vie avec la nôtre en Syrie, et on ne sait plus comment vivre…
Nous ne pouvons nous adapter facilement à une autre façon de vivre. En ces temps-ci, le fait d’être Syrien est une accusation et un préjudice. Lourde est la qualification de « Réfugié » qui nous marque…
Metro Alep, roman
Publié par Dar Altanweer, Liban, 2016