jeudi 3 août 2017

Maha Hassan. Écrire et vivre, d'Alep à Morlaix

  Publié le 25 juillet 2017

Anaëlle De Araujo
 
 

Née dans la ville, désormais meurtrie, d'Alep, en Syrie, la romancière kurde, Maha Hassan, a choisi Morlaix comme nouveau point d'ancrage. Elle travaille actuellement sur un roman écrit directement en français, avec l'aide de l'association Trocoat. Portrait d'une femme aux multiples identités et éprise de liberté.

« Je suis enfin chez moi ici, à Morlaix. Je veux vivre le dernier chapitre de ma vie dans cette ville. Et après, j'aimerais que ma maison devienne une maison pour les écrivains », confie Maha Hassan dont le parcours est aussi romanesque que ses livres. Après des années de clandestinité littéraire et de nombreux articles et ouvrages, censurés par le régime syrien, cette auteure aleppine de 50 ans a fui la Syrie, en 2004, au moment de la révolte kurde.

« Mon passeport français a été une renaissance


» « Les écrivains ne bénéficient d'aucune considération en Syrie, d'autant plus quand on est une femme, kurde de surcroît. Il est impossible d'organiser des soirées littéraires et beaucoup de livres sont censurés et publiés à l'étranger », déplore-t-elle. Réfugiée politique, elle choisit d'aller à Paris, où elle est accueillie à la Maison des journalistes. Elle remporte le prix Helmann/Hammett, décerné par l'ONG Human Rights Watch, en 2005. En 2014, Maha Hassan obtient la double nationalité franco-syrienne. « Obtenir le passeport français a été une renaissance pour moi. Je me sens plus forte maintenant », explique la Morlaisienne d'adoption avec émotion.

« Les Bretons ressemblent aux Kurdes »


Elle s'est installée à Morlaix, il y a deux ans, avec son compagnon. « Je me sens bien dans cette ville. Les Bretons ressemblent beaucoup aux Kurdes. Ils sont spontanés et honnêtes. Je me sens à l'aise avec les gens d'ici. Certaines rues de Morlaix me rappellent également Alep ». Cette expérience personnelle transparaît dans son roman « Cordon ombilical », qui a été sélectionné pour la finale du Arab Booker Prize.
Maha Hassan y raconte l'histoire d'amour entre une femme kurde et un Breton qui n'a que faire de son identité française, alors que c'est un sujet important pour la Kurde et la condition de sa liberté.

« Chaque femme est une conteuse »


La quête de la liberté est le fil directeur du parcours de Maha Hassan. « En Syrie, je ne pouvais pas parler des sujets tabous comme la politique et le sexe. Maintenant, les thèmes principaux de mes romans sont la liberté, l'identité et les femmes ». Refusant le qualificatif de féministe, Maha Hassan accorde pourtant une place importante au talent créateur des femmes dans ses romans : « La plupart de mes personnages principaux sont des femmes. Je considère que chaque femme est une conteuse, qu'elles ont toutes un génie d'écriture particulier. Mon objectif est donc de libérer la parole et l'écriture des femmes, en leur montrant que c'est possible de devenir écrivain ».

Un roman en français en cours d'écriture


La romancière syrienne travaille actuellement sur son dixième livre, qui est le premier qu'elle écrit en français. Depuis deux mois, elle est assistée par les membres de l'association Trocoat, du quartier de Troudousten-Coatserho, qui relisent son manuscrit et corrigent les tournures de phrases, en discutant avec l'auteure pour ne pas « trahir ce qu'elle veut dire ». Selon Maha Hassan, l'écriture est une activité libératrice : « La littérature, c'est la liberté, c'est la connaissance de soi et des autres, c'est un monde très riche. L'écriture m'a sauvée. J'ai tout le temps des histoires dans la tête. Je suis comme un passage pour les personnages, je suis là pour leur donner vie ».
© Le Télégrammehttp://www.letelegramme.fr/finistere/morlaix/maha-hassan-ecrire-et-vivre-d-alep-a-morlaix-25-07-2017-11608099.php#ChVJxWfDS218r4bP.99

Maha Hassan, écrivaine, de la Syrie à Morlaix

  Jennifer Pinel.



Elle est née à Alep, en Syrie. Écrivaine réfugiée politique depuis 2004, Maha Hassan a posé ses bagages à Morlaix. L'association Trocoat examine actuellement son premier livre en français.


Syrienne d'origine kurde, née à Alep en 1966, Maha Hassan a rejoint la France en 2004, pour échapper à la répression sanglante dont était victime sa communauté en Syrie. « Née pour raconter », c'est depuis Morlaix, où elle s'est installée en octobre, que l'écrivaine continue à écrire sur son pays, dont elle suit l'actualité avec horreur.
La Bretagne s'est imposée comme une évidence pour la Syrienne réfugiée politique. « À Paris, je vivais en colocation avec une Bretonne. Elle m'a fait découvrir les menhirs et Carnac. Je m'en suis inspirée dans mon livre Cordon Ombilical où j'évoque une femme kurde qui se marie avec un Breton. » Comme une prédestination, vient la rencontre avec Philippe, Breton de coeur. Puis l'installation à Morlaix, « une ville vivante avec une gare toute proche, importante pour moi qui voyage beaucoup mais qui ne conduit pas... »
« Les Bretons sont directs »
Danse main dans la main, tendance « à l'entêtement » : entre la communauté kurde et la Bretagne, l'écrivaine perçoit des similitudes qui la séduisent. « Les Bretons sont clairs et directs : soit ils aiment soit ils n'aiment pas. Il n'y a pas de gentillesse manipulée. Ils sont crus, comme les Kurdes. Il y a une honnêteté avec soi et avec les autres. »
Née dans une famille kurde au sein d'une société arabe, Maha Hassan évoque « la schizophrénie » qui l'habite depuis sa plus tendre enfance. « Ma grand-mère ne parlait pas un mot d'arabe, alors que c'est la langue avec laquelle j'ai découvert le monde. Mon père était communiste mais je devais mettre le voile dans la rue. J'étais une femme libre à l'extérieur, dévouée et au service des autres à la maison. »
Un journal dans la maison d'Anne Franck
Arabe, Kurde, Française, Bretonne ? Maha Hassan se sent avant tout « écrivaine, responsable de tout ce qui se passe autour d'elle ». Éprise d'indépendance et apeurée par la répression antikurde, l'écrivaine, victime de la censure, a quitté le domicile familial dans le plus grand secret, en 2004.
Réfugiée politique, elle obtient en 2005 le prix Hellmann-Hammett de Human Rights Watch. Et passe un an en résidence dans la maison d'Anne Franck où elle écrit son propre journal, qu'elle n'a pas encore osé publier à ce jour.
La voix des femmes
Militant pour « le droit du peuple syrien à choisir son président », Maha Hassan fait, dans ses romans, vivre les femmes de son pays, victimes de la répression et de la guerre. « Ma mère a survécu au bombardement de notre maison mais est décédée la semaine suivante. J'écris pour lui rendre hommage, à elle et aux femmes de mon pays qui représentent la paix en Syrie. Pour qu'elles ne meurent pas deux fois... »
Lors d'une rencontre littéraire à la librairie À pleine voix, le chemin de Maha Hassan a croisé celui d'Anna Cousin, la présidente de l'association Trocoat. « J'ai été fascinée par son parcours et je l'ai invitée à un atelier de lecteurs. Je trouve tellement dommage que sa richesse ne soit pas plus visible », confie celle qui retravaille un manuscrit français de l'auteur, étrangement jamais traduite, jusqu'ici, dans la langue de Molière...

samedi 4 mars 2017

Je suis née pour raconter

 Dina Kabil

La Syrienne Maha Hassan était l’une des invités du 3e Festival littéraire du Caire, qui s’est achevé la semaine dernière. Résidant en France depuis 13 ans, elle décrit dans son nouveau roman Métro d’Alep le dilemme de vivre ailleurs.

Al-Ahram Hebdo : Dans votre Métro d’Alep, nous pouvons lire la passion d’Ami­na de se balancer entre deux mondes, celui de sa demeure syrienne avec ses ruelles pauvres, et celui de Paris, la ville des liber­tés et des arts. Comment vivez-vous l’exil volontaire depuis 13 ans et celui obligatoire d’aujourd’hui ?
Maha Hassan : C’est un peu com­plexe. En Syrie, je me sentais dépay­sée dans mon entourage, en tant que femme qui a ses exigences en matière de liberté et de réalisation de soi. Parmi mes amies aussi, puisque le commun était dans notre société de se préparer au mariage ou de cher­cher la sécurité à l’ombre d’un homme. Tandis que moi, et dès mon jeune âge, j’avais un penchant pour l’indépendance. J’ai été élevée plutôt par mon père et non par ma mère. Toute jeune, je l’accompagnais dans les assemblées des hommes, il a très tôt cultivé chez moi l’indépendance. Mon lien très fort avec mon père, qui était de tendance communiste, a semé en moi une certaine responsa­bilité, et c’est la responsabilité qui nous amène à choisir. Si on coupe le cordon ombilical avec la mère, dans mon cas, c'était plutôt avec mon père.
— Le fait que vous êtes d’origine kurde a-t-il accentué votre exil intérieur dans votre pays ?
— D’une certaine manière, je me sentais différente, mais d’une façon plus riche et plus positive. La per­sonnalité kurde, villageoise en géné­ral, est loin d’être soumise, la femme kurde est une vraie partenaire dans les champs, même si au foyer, elle assume son rôle traditionnel. Dans notre communauté, il existe par exemple des danses mixtes et cela n’a aucune signification morale. Cela dit, le partenaire ne peut jamais embêter ou harceler la femme avec qui il danse. Il existe une mixité naturelle dans la communauté kurde, il y a aussi la femme kurde combat­tante en Syrie contre les agresseurs de l’EI. Le dépaysement que je res­sens provient de la contradiction dans laquelle je vis. J’appartiens à la culture kurde, mais j’écris en arabe, et en même temps je n’ai pas d’ap­partenance politique, je ne fais pas partie d’un parti. Je me sens dépay­sée en Syrie, telle une Française au Caire, une Syrienne à Paris, une Kurde parmi les Arabes. L’écriture c’est mon salut qui a façonné mon identité, je la porte sur moi comme un enfant qui m’aide à trouver l’har­monie que je cherche.
Métro Alep se déroule dans le cadre d’une Syrie en ébullition, où les personnages sont dispersés dans les différentes mégapoles. Comment pouvez-vous écrire sur la guerre tout en vous attachant au conte de Schéhérazade ?
— La situation en Syrie est unique, elle ne ressemble à aucun autre pays arabe. Tout a commencé avec la révolution, le beau rêve en rose que nous avons partagé, mais il ne tarde pas à couler dans le sang. Je prétends que j’ai des outils qui m’aident à ne pas sombrer dans le pamphlet poli­tique. Je ne porte pas de jugement sur mes personnages, j’ai appris de Dostoïevski, dans Le Joueur, com­ment plonger dans un univers fait de laideur sans le juger, comment décrire l’incendie sans se brûler, je pense que j’ai réussi à me protéger et à protéger mon écriture de la chute dans la formule de l’écriture-slogan.
— Pourtant, il y a eu plusieurs interruptions depuis vos débuts en 2004 avant que vous ne publiez tous les ans depuis 2011. Qu’est-ce qui vous incite à écrire et qu’est-ce qui vous arrête ? — Lorsque j’ai arrêté d’écrire, c’était plutôt dans mon pays. Si je n’étais pas partie pour la France, peut-être n’aurais-je pas continué à écrire. J’ai souffert en Syrie de la marginalisation intentionnée, dans un milieu littéraire qui ne reconnaît pas les nouveaux talents, c’était une ambiance plus ou moins corrompue. J’ai passé quelques années à la recherche de la stabilité dans mon nouvel exil parisien, jusqu’à ce que je sois parvenue au clame dans l’écriture même. La part importante de mon oeuvre a été réalisée en Occident, et même si je suis préoc­cupée par le monde arabe, le lieu où je vis conforte mon sentiment de sécurité. Et là aussi, c’est une contra­diction que je vis, les événements majeurs se déroulent en Syrie, tan­dis que mon quotidien à Paris me permet d’écrire, c’est le dilemme d’écrire sur la douleur à partir d’un autre espace géographique.
— La guerre syrienne est-elle un moteur de l’écriture ?
— Je ne sais pas si on est né écri­vain. Dans mon roman Al-Rawiyat (les narratrices) j’ai écrit, à l’image de Gabriel Garcia Marquez dans Je vis pour raconter, que je suis née pour raconter. Je raconte toutes les contradictions que j’ai vécues, la douleur, la passion, la frustration, même lorsque la nature m’a punie en quelque sorte et m’a privée de la maternité, je l’ai vécue pleinement dans l’écriture, sans pathétisme, comme si j’étais la fille de l’écriture ou sa mère. Dans mes Narratrices, je suis obsédée par la fabrication des héroïnes, vous trouverez des per­sonnages qui sortent des boîtes des épices, du monde journalier de la femme. Je ne pense pas qu’il existe un moteur de l’écriture. Je suis plu­tôt comme Diane la déesse de la pêche, je « pique » les détails dans le métro, les yeux, la couleur des boucles d’oreilles, le parfum, même le regard d’un animal, il m’apprend quelque chose. Je suis gloutonne dès qu’il s’agit d’écriture.
— Justement, pourquoi étiez-vous réticente concernant l’ap­pellation « écriture de la femme » lors du Festival littéraire du Caire, bien que vous soyez atta­chée aux voix féminines dans votre oeuvre et que vous convo­quiez l’univers des contes de Schéhérazade ?
— J’ai bien précisé que la femme écrivaine a un privilège par rapport à l’homme, celui de pouvoir accéder aux cercles interdits aux hommes, ou dans lesquels il n’est pas bien accueilli. Je ne dévalue pas l’écriture féminine, mais je suis contre la clas­sification qui pourrait mettre dans le même panier des écrivaines sans talents au gré du simple label de l’écriture femme. Parce que, lorsqu’un homme écrit un texte faible, on ne dit pas c’est un écrivain-homme, mais on dit tout simplement que c’est un mauvais récit. Les uni­vers que j’écris plongent dans le monde de la femme, parce que c’est un monde riche, et parce que j’ai grandi sur les histoires de ma mère qui étaient ma source de narration comme je l’ai dit dans Métro d’Alep. Je voulais tout simplement épurer la créativité de l’écrivaine du cliché et du roman falsifié.
— Dans Métro d’Alep, vous atta­chez votre lecteur au « sac des souvenirs » accumulés depuis 30 ans et qui ne tardent pas à dispa­raître avec l’effondrement de la maison. Quels sont vos projets pour conserver les souvenirs ?
Je vis la perte des amis, de la famille sous l’absurdité de la guerre. La maison de ma famille s’est effon­drée, et je garde une question enfan­tine et candide : pourquoi les guerres se déclenchent-elles ? Mon prochain livre sera sur la chute de notre mai­son. C’est ma mère qui prend la relève de la narration, depuis sa place au cimetière. Elle dit qu’elle ne peut pas mourir sans raconter l’his­toire. Je suis convaincue que l’écri­ture est à la fois cruauté et plaisir, mon lecteur va pleurer en lisant la destruction des lieux des souvenirs au début du roman, mais il aura un grand plaisir à partager les matinées d’Alep entre le basilic et le jasmin.
— Vous êtes une écrivaine consa­crée dans le monde arabe, et pour­tant vous n’êtes pas traduite dans votre pays d’accueil ?
Mon premier roman en dehors de la Syrie fut Taratil Al-Adam (les chants du néant) édité chez Al-Saqi, et qui a eu un grand succès au Maroc. Puis Habl Sorri (cordon ombilical) qui a réussi en Egypte, au Maroc et dans nombre de pays arabes, c’est là qu’on a commencé à m’apprécier en Syrie. L’institution culturelle dans mon pays est gérée par un esprit de clans et par les inté­rêts. Je pense que si je n’avais pas eu ce succès dans le monde arabe, per­sonne ne m’aurait reconnue en Syrie. Je ne suis pas encore traduite en français, cela me fait de la peine parce que mon mari et mes amis ne peuvent pas me lire.

Maha Hassan
Née à Alep, d’orgine kurde. Ses deux premiers romans, Al-Lamoutanahi, Sirat Al-Akhar (l’infini, récit de l’autre) et Lawhat Al-Ghilaf (la toile de couverture), paraissent en Syrie respectivement en 1995 et en 2002.
Elle quitte son pays lors de la répression sanglante de la révolte kurde en 2004 et vit depuis à Paris en tant que réfugiée politique. Et depuis un an, elle est basée en Bretagne. Parmi ses oeuvres : Taratil Al-Adam (les chants du néant), 2009, Habl Sorri (cordon ombilical), 2010, et Banat Al-Barari (les filles des prairies), 2011. Elle a publié Toboul Al-Hob (les tambours de l’amour) en 2012, Al-Rawiyat (les narratrices) et Nafaq Al-Wogoud (le tunnel de l’existence) en 2014, édités à Beyrouth par Riad Al-Rayes et Al-Saqi, et enfin Métro d’Alep, en 2016 aux éditions Al-Tanwir.

vendredi 30 décembre 2016

À Alep je suis devenue orpheline deux fois



Maha Hassan : « À Alep je suis devenue orpheline deux fois » (Grazia, décembre 2016)
Texte recueilli par Emanuela Mastropietro et publié par l’hebdomadaire italien Grazia (décembre 2016 :
Ci-dessous la traduction de l’italien au français par Lisa Viola Rossi
Ma mère est morte à Alep le 16 décembre il y a un an. Je ne sais pas ce qu’elle faisait quand un missile a transformé la maison où elle m’avait mise au monde en un tas de gravats. Ma mère, Amina, était une femme pleine de joie, chaleureuse. Peut-être qu’elle préparait du thé pour ses voisins, qu’elle n’a jamais cessé de voir, même sous les bombardements. Quand je l’appelais par téléphone de la France – d’abord de Paris, puis de Brest, où je vis en tant que réfugiée politique depuis 12 ans – elle n’a jamais versé une larme: elle endurait l’enfer et pour moi elle s’efforçait de sourire. Je suis une fille d’Alep. Et aujourd’hui, je suis orpheline. Deux fois orpheline.
Mon pays, je l’ai perdu en 2004. Pour échapper aux persécutions contre la communauté kurde dont je fais partie, à 38 ans, j’ai été forcée de quitter la ville qui m’a vue naître et devenir une adulte, le berceau d’une grande civilisation qui a nourri mon inspiration en tant qu’écrivaine. Mais le cordon ombilical qui me lie à cette terre martyre, il n’a jamais été coupé. C’est le destin de nous les Syriens: il n’y a pas un lieu à l’extérieur de notre pays, qui est fait pour nous. Même quand on a l’impression de pouvoir enfin poser nos valises, nous nous rendons compte que la vie que nous vivions en Syrie, elle s’est collée à notre âme et que nous sommes condamnés à la comparer constamment à la nouvelle vie, à laquelle nous ne pouvons pas nous habituer.

J’ai essayé de donner corps à ces sensations dans mon dernier roman, Le Métro d’Alep, publié à Beyrouth aux éditions Dar al-Tanweer. Le personnage principal, Sara, fuit la guerre qui a dévasté ce qui, un temps, pouvait se vanter du titre de capitale économique de la Syrie, et elle a trouvé refuge à Paris. Elle passe ses journées à errer dans le métro, sans racines, sans liens, dans les limbes de la mélancolie qui lui empêche de vivre et où le passé et le présent se chevauchent sans cesse. Un jour, quand elle se perd dans un dédale de tunnels et des escaliers mécaniques et quelqu’un lui demande ce qu’elle cherche, Sara lui répond : « La ligne menant à Alep ».
Sara est un personnage fictif, mais elle me ressemble. Le missile qui a tué ma mère et a détruit ma maison, il a fait de moi une sorte de fantôme, un être invisible. Ce jour-là j’ai tout perdu, ma vie est une non-vie.
Si je ferme les yeux et je pense à Alep, je ne peux plus voir la ville de mon enfance et de ma jeunesse, des rues animées du centre-ville, le rassurant brouhaha des cafés. Si je ferme les yeux et je pense à Alep, je vois Berlin en 1945: les décombres, la mort, la désolation. Tout est noir et blanc. La guerre a effacé les couleurs.
J’ai appris hier que le quartier dans lequel se déroule un chapitre de mon roman a été bombardé et il n’existe plus. J’ai perdu mon Alep, mais aussi Sara – mon personnage – elle a perdu le sien. C’est comme mourir deux fois. Que deviendra ma ville? Je ne peux pas répondre. D’une part, je suis convaincue que les blessures ne guériront jamais complètement. La guerre a enlevé un morceau de notre âme.
D’autre part, je refuse de perdre l’espoir. Certains membres de ma famille vivent encore là-bas. Mon frère et ses quatre filles ont survécu au bombardement de leur maison et ils ont trouvé refuge dans la ville universitaire. Un jour, peut-être, mes petits-enfants verront Alep ressuscité, reconstruite, en paix.
J’avais prévu de consacrer mon dernier livre à ma mère. Je voulais la surprendre, mais elle est morte avant que j’aie pu le terminer. Amina était illettrée, elle n’a jamais pu lire une ligne de ce que je publiais, mais elle m’a encouragée, m’a soutenue, elle était fière de moi. Si je continue à écrire, je le fais pour elle, et pour donner une voix à toutes les personnes qui ne peuvent exprimer leur douleur; je suis chanceuse, j’ai l’occasion de témoigner et c’est comme si ma souffrance a un sens. Jamais je ne vais arrêter de le faire : je suis une fille d’Alep, tel est mon destin.





jeudi 29 décembre 2016

Quand la ville d'Alep est tombée



C’est à cause de mes cauchemars que j’ai commencé à écrire mon dernier roman, Metro Alep. C’était comme si je transposais la ville dans laquelle je suis née vers la ville dans laquelle je vis actuellement. Je les rassemblerais, avec affection, comme une mère qui aurait deux de ses filles aimées, chacune vivant dans un pays lointain. Et qui rêverait de vivre avec elles.
Mes sentiments très maternels par rapport à la ville d’Alep m’ont poussé à y créer un métro, sachant qu’il n’y a pas de métro là-bas. Ce même sentiment de maternité, mais comme vécu à l’envers, en quelque sorte, m’a poussé à dédier mon roman à ma mère. Ma mère est devenue soudain comme ma fille.
J’ai passé dix ans séparée de mon pays. Réfugiée en France, je n’avais aucune possibilité de rentrer en Syrie pour voir ma mère. Elle n’avait pas non plus pu venir me voir en France, n’ayant pu obtenir de visa.
Dix ans après donc, ma mère est venue me voir dans un pays voisin, la Turquie. Elle était malade et la route d’Alep jusqu’aux frontières  turques étaient très dangereuse et très longue.
Elle a pris deux jours pour arriver. En temps normal traverser la rue ne prend que quelques heures, mais il y avait de nombreux barrages militaires: des barrages du régime et d’autres barrages appartenant à des rebelles, y compris des barrages de Daech.
Ma mère a passé toutes ces barrières pour me voir, et ici, en Turquie, à Gaziantep, j’ai réalisé que ma mère était devenue comme ma fille.
Elle ne cessait de pleurer, elle avait peur de me laisser, elle avait besoin de ma protection. Elle voulait que je reste avec elle.
Je fus obligée de rentrer en France, après deux semaines d’une relation en même temps douce et amère: nous étions heureuses d’être ensemble, mais nous savions qu’il y avait la guerre autour de nous, et chacune de nous étions obligées de rentrer chez nous sans pouvoir rejoindre l’autre.
J’ai donc vu ma mère après dix ans d’absence, mais ni chez moi à Paris, ni chez elle à Alep.
J’ai commencé à préparer mon livre, et je n’ai absolument pas réfléchi, en nommant la mère de mon héroïne Amina, que c’était aussi le nom de ma mère.

J’étais par contre consciente que c’était le moment de dédier un de mes romans à ma mère. J’ai caché cette dédicace en filigrane en attendant que mon livre soit publié, pour ainsi la surprendre.
J’étais en train d’arriver aux derniers chapitres de mon roman, quand la mère de Sarah ; l’héroïne, est morte sous les bombardements.
Pendant que je travaillais sur mon livre, notre maison à Alep fut bombardée. Ma mère était dedans, dans la salle de bain. Les murs tombèrent et elle resta coincée. Elle regardait les gens autour d’elle, vers la salle de bain, la cuisine, le salon…Tous avaient pu être sauvés.

Elle fut dans l’impossibilité de bouger. Les voisins l’évacuèrent en la sortant des décombres.
La maison n’était plus habitable. Ma mère passa quelques nuits chez les voisins en attentant d’avoir un passeport pour partir en Turquie, car les frontières étaient fermées. Quand elle était venue la première fois, les frontières étaient ouvertes.
Je ne peux pas et je ne veux pas parler de mon choc devant les photos que j’ai vues de ma maison natale ainsi détruite, celle où je suis née et celle où j’ai grandi.
Je me suis sentie comme déracinée. Comme si je n’avais plus d’existence propre. Mais je n’ai pas eu le temps de prendre conscience de cette perte, alors que ma mère était vraiment dans l’incapacité de supporter cette destruction de toute une vie ; son abri, son passé, ses mémoires, ses affaires, ses meubles… ma mère, comme sa propre maison, s’est éteinte.
Six  mois plus tard, Metro Alep est apparu, avec sa dédicace : ma mère ne saura jamais ce que j’ai pu faire pour la rendre heureuse et fière de moi.
Cela fait un an que mon lien avec ma vie en Alep est coupé et je me sens toujours comme si je n’existais plus. La tristesse et un sentiment d’injustice me bloquent pour sortir de cette obscurité.
Il y a quelques jours, j’ai reçu des photos de mon quartier à Alep, des maisons des voisins. Les maisons a côté de la nôtre sont toutes pareilles, elles sont à l’image de notre bâtisse.
Notre maison fut la première à tomber dans le quartier, mais au fur et à mesure il n’en resta presque aucune, elles sont toutes devenues des décombres…
Il y a quelques jours, l’est d’Alep a été presque rasé, ainsi que le quartier dans lequel vit la mère de Sarah dans mon roman, le quartier d’El Jaloom. J’ai ressenti une autre perte, comme si mon roman aussi n’existait plus. J’ai perdu Alep deux fois, en perdant ma maison réelle et puis en perdant l’endroit où se passe mon roman.
La maison d’Alep, celui où la mère de Sarah passait ses jours, a elle aussi réellement disparu.
Ma maison est détruite, les maisons des voisins dans mon quartier sont tombées, le quartier dans lequel mon roman se passe est tombé, Alep est tombée… tout, pour moi, est détruit.


Extraits du roman:

Où allons-nous,-nous les Syriens? Nulle part au monde n’est suffisamment vaste pour nous. Et si on le trouve, on porte notre pays avec nous, et nous comparons les moindres détails de la vie avec la nôtre en Syrie, et on ne sait plus comment vivre…
Nous ne pouvons nous adapter facilement à une autre façon de vivre. En ces temps-ci, le fait d’être Syrien est une accusation et un préjudice. Lourde est la qualification de « Réfugié » qui nous marque…

Metro Aleproman
Publié par Dar Altanweer, Liban, 2016

vendredi 23 décembre 2016

مترو حلب. أزمة الوطن ومأزق الذات

محمود عبد الشكور ـ جريدة الشروق


هذه رواية ممتعة رغم أنها تشهد على أزمة وطن، وعلى مأزق شخصية ممزقة تتأرجح بين عالمين، بين ماض وحاضر، وبين هوية قديمة وهوية جديدة، ولكن الرواية تنجح فى النهاية فى أن تجعل من شجن الغربة، ومأساة الحرب، فنا رائقا ممتزجا بإرادة الحياة والميلاد الجديد.

«مترو حلب»، الصادرة عن دار التنوير، للكاتبة السورية المقيمة فى باريس مها حسن، ليست سوى حكاية تنمحى فيها الفواصل بين باريس وحلب بصنعة فن، شخصيات الرواية النسائية تعيد تشكيل حياتها، تحكى عن ذاتها بنفس القدر الذى تحكى فيه عن وطنها المأزوم بالحرب والدمار، مها حسن (صاحبة «حبل سري» و«الراويات» اللتين كانتا فى قائمة البوكر الطويلة) ساردة بارعة تقيم دوما فى أعمالها جسرا بين الغرب والشرق، وتجيد التعبير عن العالمين باقتدار، وهى هنا تستدعى سوريا إلى باريس بصورة تمس العقل والقلب، ومن خلال عالم يأسرك بتفاصيله، ويترك لك مسافة لتتأمل جرحى الثورة والحرب، وجرحى الحب والعاطفة.

يمكننا أن نلمح فى كثير من أعمال مها حسن خطين يصنعان جدلا متواصلا، وسنراهما فى شكل أوضح، وأكثر احتداما فى «مترو حلب»، إنهما خطّا الذات والوطن، والاغتراب يتلون أيضا بلونين: هناك اغتراب «مكانى» عن الوطن، وهناك اغتراب «داخلى» تشعر به الشخصيات طلبا لتحقيق نفسها، فى هذه الرواية هناك حنين جارف للوطن، وهناك تعاطف بلا حدود مع مأساته، ولكن هناك أيضا رحلة بحث عن الذات، ورغبة فى تحديد الهوية، وحلم بالحرية، وبحق الاختيار، لذلك يجوز أن نصف «مترو حلب» بأنها رحلة بحث عن الذات، مثلما هى أيضا رحلة بحث عما تبقى من الوطن، أو بمعنى أدق فإن مطاردة الوطن لبطلتنا حتى وهى فى باريس، كان سببا فى أن تواجه ماضيها وذاتها، وأن تصل فى النهاية إلى قرار، تتخلص فيه من التأرجح، حتى لو لم يصل الوطن نفسه إلى ميناء تنتهى فيه الصراعات، ويتوقف فيه الدمار.

تمنح المؤلفة البطولة لثلاث نسوة من جيلين مختلفين: سارة المهندسة الشابة ذات الثلاثين عاما، التى اضطرت إلى السفر إلى باريس، لتكون بجانب خالتها أمينة فى أيامها الأخيرة بعد إصابتها بالسرطان، والأم هدهد، والدة سارة، التى تحمل سرا خطيرا، والتى تمسكت حتى النهاية بالحياة فى مدينة حلب رغم القصف المتواصل، ورغم المعاناة اليومية.

والشخصية النسائية الثالثة هى أمينة، خالة سارة وشقيقة هدهد، وقد اختارت أمينة أن تهرب من سوريا منذ سنوات طويلة، لكى تحقق ذاتها كممثلة مسرحية شهيرة، وكان لها ما أرادت بعد كفاح، ولكن إصابتها بالسرطان، تعجل بحضور سارة إلى فرنسا رغما عنها. ولكن سارة تأتى ومعها حلب، لدرجة أنها تتخيل أن مترو باريس الطويل، هو مترو حلب الذى لا وجود له، كل شارع فى باريس يستدعى شارعا فى حلب، وكل محطة للمترو تخترع لها سارة محطة افتراضية فى مترو افتراضى لمدينتها حلب.

يتدفق السرد من خلال صوت سارة فى فصول خاصة بها، ولكن صوت هدهد، وصوت أمينة يعبران عن نفسيهما بطرق غير مباشرة، سواء فى صورة أشرطة تركتها أمينة تحكى قصة حياتها، وطلبت أن تسمعها سارة بعد وفاة أمينة، أو فى شكل محادثات بين سارة وهدهد من خلال الواتس آب، كما يتدخل الراوى العليم فى فصول محددة لكى يخبرنا أشياء لن تعرفها سارة، وهو أيضا الذى سيسمح لهدهد أن تحكى من خلاله، أما زمن السرد فهو ينقسم إلى مستويين متداخلين: الحاضر وهو بالأساس يومان من شهر نوفمبر 2015، وتحديدا 6 و7 نوفمبر2015، والماضى الذى يستغرق بالأساس ثلاثين عاما، تمثل عمر سارة، بطلة الرواية، وموضع المعاناة والاختبار.

هذا البناء المركب يأخذ خطوة أبعد عندما يطرح لعبة «الهويات» التى تتعرض لها سارة، حيث تكتشف أن أمينة ليست خالتها، وإنما هى أمها الأصلية، التى تركتها بعد مولدها بشهرين، جريا وراء حلم أن تكون ممثلة مسرحية، وبالتالى فإن هدهد هى الخالة وليست الأم، ولكنها ضحت بحياتها من أجل سارة، وتزوجت من والدها، لتستر فضيحة هروب أمينة، بل إن هدهد حملت اسم أمينة، تتبادل النسوةُ الثلاثُ الأقنعةَ: هدهد حملت اسم أمينة وحلت محلها وقامت بتربية ابنتها سارة، وأمينة تذيع السر فى شرائطها لكى تعرف سارة الحكاية، وسارة ستحل فى النهاية محل أمينة، سترث بيتها، ومكانها، وستحاول أن تتحقق مثلها، تحققت أمينة بالمسرح، وستحب سارة أن تتحقق بالغناء، بعد سنوات من القمع.

الوطن حاضر فى كل سطر سواء فى أماكنه التى تقفز إلى شوارع باريس، أو فى الكوابيس المتواصلة، أو من خلال تشتت أسرة سارة: أختها سوسن فى اسطنبول، وشقيقها سمير فى هولندا، وأمها/ خالتها هدهد فى حلب، ولوركا (زوج سوسن) فى السويد. غموض هوية سارة يتداخل مع غموض ما يحدث فى سوريا، الأمور اختلطت على المستوى العائلى والوطنى معا.

لم يعد الحديث عن «ثورة» وإنما عن «أحداث»، ولم تعد المعاناة بسبب النظام وحده، وإنما أيضا بسبب المعارضة، والطائرات الأجنبية، وتنظيم داعش، فوضى شاملة ذاتية وموضوعية تمزق حياة سارة فى باريس، فتتركها معلّقة فى الهواء، أو تائهة فى «مترو باريس»، من دون أن تتذكر العنوان.

يتداخل الخاص والعام بشكل عجيب، مثلما تتداخل باريس وحلب، ومثلما تتداخل قصة هدهد، وحكاية أمينة، ويأتى حل النهاية توافقيا بامتياز: ستضع سارة قدما فى باريس وأخرى فى حلب، ستعيش هنا وهناك، فى باريس تتحقق بالغناء، وفى حلب ستتسلل مع صحفى فرنسى يريد أن ينقل الماسأة للعالم، ستأخذ سارة من أمينة جسارة المغامرة، والسير وراء ما يحقق الذات، ويمنح الحرية الشخصية، وستأخذ من هدهد (أمها البديلة) معنى التضحية من أجل الآخر، وأهمية أن تعيش فى الوطن.

«مترو حلب» تنحاز إلى الفرد وإلى الوطن معًا، لا تضحى بأحدهما فى سبيل الآخر، سارة وهدهد وأمينة أقرب أن تكنّ شخصية واحدة بثلاثة وجوه، كل واحدة تعرضت لاختبار الاختيار، وكل واحدة تحملت نتائج ذلك، ماتت هدهد وماتت أمينة، وحلّت سارة مشكلة «الأرجوحة» المعلقة، فى انتظار أن يحل الوطن مشكلة أرجوحته التى لا تتوقف.

هذه رواية تصالح الذات على الآخر، وتصالح الفرد على الوطن، فيها نفس وجودى يُعلى من شأن الحرية الفردية، ومن حق الاختيار، ولكن فيها أيضا معنى عدم القدرة على الخلاص من الماضى. قد يكون الاختيار ميلادا جديدا، ولكن لا بد من التصالح مع الماضى، مثلما تصالحت أمينة، بشكل أو بآخر، مع هدهد وسارة. لا يمكن الهروب من الوطن إلا إليه، وعندما يتحقق الفرد، ويتحقق الوطن، تتوقف الكوابيس، ويسترد الجميع هوياتهم المفقودة والغائبة.