Dans mon roman « Métro Alep », publié dès 2016 en arabe à Beyrouth et qui a
été nommé au Prix Littéraire d’Abou Dhabi en 2017, Sarah l’héroïne principale,
part d’Alep pour visiter sa tante à Paris et se reposer un peu de la guerre.
Sarah ne comptait pas rester en France, mais l’augmentation de la violence à
Alep et la montée des courants radicaux islamiques la contraignent à rester.
Les
parents de Sarah, qui sont restés à Alep, lui ont demandés de ne pas retourner
en Syrie avant la fin du conflit.
Sarah
passe ses jours et ses nuits sans réaliser qu’elle est à Paris. Elle prend
souvent le métro pour voyager dans son imagination et comparer ses deux vies
« celle d’Alep et celle de Paris ». Elle entretient une forme de
confusion entre ses deux villes, oubliant qu’il n’y a pas de métro à Alep.
Dans un
chapitre où surgissent ses cauchemars, Sarah se réveille et découvre la guerre
à Paris :
« Darline
hurle en portant Cannelle dans ses bras :
·
Dépêche-toi,
Sarah !
Je l’ai
regardé avec étonnement et j’ai secoué ma tête en la questionnant.
·
Tu n’as pas encore
compris ! C’est la guerre… Bouge-toi… Vite vite !
Darline
ne cesse pas de crier, je ne comprends rien, la guerre est là ? Je me
rappelle que la guerre était à Alep, nous sommes alors à Alep, Darline et moi.
·
Nous sommes à
Alep ? demandais-je à Darline
·
Mais non… c’est ici… la
guerre est là, à Paris.
Darline
me tire la main et porte Cannelle dans l’autre et rapidement nous dévalons
l’escalier.
Je me
trouve dans la rue, vêtue de ma chemise de nuit, j’entends le bruit des avions,
je regarde le ciel pour voir énormément d’avions qui balancent des bombes et
les incendies se déclenchent partout. Une bombe tombe sur Darline. Je pleure
paniquée, je tiens Cannelle fermement dans mes bras et je cours, évasive.
Les gens
dans la rue hurlent et demandent de l’aide, je les entends en français, je suis
donc à Paris, la guerre est donc arrivée à Paris ».
Le
chapitre est encore long et je ne peux pas tout traduire. Je parle dans ce
roman de la panique des français, du sang qui couvre les rues, des
bombardements, les effondrements de bâtiments, des cadavres, des pompiers… Mais
tout cela n’était pour moi qu’un cauchemar vécu par une jeune fille syrienne
obsédée par la violence qui avait gangrénée sa ville natale. Je n’ai pas
imaginé un instant, qu’un paragraphe de ce chapitre pourrait se produire
réellement en France.
1er
décembre 2018. En regardant les infos, je vois la flamme dans les rues de
Paris, je tremble ; comme si j’étais plongée dans mon roman fantastique,
je perds la distance entre l’imagination romanesque et le réel.
Collée
devant la télévision toute la journée du samedi 1er décembre, je revivais le
début de la révolution syrienne ; je passais des heures devant les chaines
Al Jazeera, Al Arabiya, France 24 en arabe et également les réseaux sociaux,
exactement comme le faisait Sarah dans mon roman.
Il y a
quelques jours, le président Macron s’est exprimé pour décevoir la majorité des
« gilets jaunes » qui attendaient de lui des propositions plus
concrètes et efficaces pour sortir de leur crise financières.
Le
comportement de monsieur Macron m’obligeait involontairement à me rappeler des
premiers discours de Bachar Al Assad. Les deux comportements sont
prétentieux !
Je ne
compare pas les deux présidents, cela n’a rien à voir. Entre un président élu
démocratiquement par un peuple qui a déjà vécu une longue expérience de liberté
et qui a son histoire particulière pour défendre encore la liberté du peuple,
et un président imposé par son père dictateur qui avait éliminé tous ses
opposants pour prendre les syriens dans sa cage ; la cage de la famille
Assad. C’est hors de question de comparer entre un pays de Loi, et un État
Policier, mais j’ai trouvé un point commun entre les deux personnalités ;
sous-estimer le peuple !
Quand les
résultats des élections présidentielles furent annoncés, je me suis sentie
soulagée, j’avais peur que l’extrême droite arrive au pouvoir. J’avais beaucoup
d’espoir en ce président : jeune, dynamique et j’avais une raison
personnelle d’admirer le nouveau président ; Son côté culturel car j’avais
lu qu’il aurait aimé être écrivain. Comme c’est magnifique !
En tant
qu’écrivaine qui a vécu durant sept ans l’expérience du « Printemps
Arabe » et qui s’est transformé en hiver sanglant ; En tant que
porteuse de deux nationalités, même si la Syrie est devenue pour moi un ex-pays
et que je n’appartiens aujourd’hui qu’à la France, je voulais résumer la leçon
qu’on peut tirer du Printemps Arabe : il ne faut pas sous-estimer le
pouvoir du Peuple, et ne pas ignorer ou restreindre les dangers des
conséquences lorsqu’on déçoit le peuple.
Quand le
Peuple sort dans la rue, il sécrète certaines « hormones » magiques,
un plaisir, un pouvoir magique. Une énergie incontestable qui empêche la
personne révoltée de reculer sans atteindre son but, et cela pourrait produire
une catastrophe inenvisageable.
Le
printemps arabe s’était déclenché vite en Tunisie et s’était répandu comme une
trainée de poudre. Aujourd’hui, plusieurs pays arabes sont déstabilisés. Ne
donnez pas l’occasion au « Printemps Européen » ou à l’ « Hiver
Européen » de commencer par la France avant de déstabiliser le monde
entier. C’est au gouvernement de trouver rapidement une solution démocratique
et raisonnable pour qu’on s’en sorte tous, sain et sauf de ce conflit qui peut
amener la guerre.